Le point où tout se brise

Publié le par Manu

Le point où tout se brise: voilà où j'essaie de fonder ma vie spirituelle, morale, intellectuelle, voire professionnelle...

 

Quand j'ai découvert la philo en terminale, je cherchais une doctrine où me reconnaitre, à laquelle appartenir, un support à ma vie. une case où rentrer, en quelque sorte. Les deux années suivantes, cette tendance s'est accrue jusqu'à essayer d'intégrer des mouvements politiques, d'extrême gauche (j'étais un traumatisé de l'enseignement catholique plongé soudainement dans une prépa publique: ça change...).

 

J'ai cru acheter mon bonheur avec de la conviction, et l'occasion m'a rapidement été donnée d'expérimenter le sens et les conséquences du mot "naîveté".Ces premières déceptions ont fait naitre en moi  une forme de rancune envers mon premier amour: la philosophie. Mes auteurs préférés devinrent bientôt ceux qui exprimaient de la défiance envers son projet: Schopenhauer, Pascal, Nietszche , Kierkegaard surtout.

 

Cette défiance, cette déception, ont évolué en aversion, et je suis passé, en quelques années, de la philosophie non systématique à l'ésotérisme sous la plupart de ses formes. Mais la vérité est souvent l'héritière d'une succession d'erreurs, et de l'occultisme et de l'orientalisme de comptoir, je suis passé à Guénon, de Guénon à Saint-Martin, de Saint-Martin à Boehme, et de Boehme à la spiritualité chrétienne. De celle-ci j'en suis venu à la théologie et à la philosophie chrétiennes, j'ai relu St Augustin et St Thomas avec considérablement plus de sympathie que par le passé, et j'ai très progressivement converti ma pensée puis mon âme.

 

Il reste que j'ai progressé par une succession d'échecs, souvent rythmés par des déceptions personnelles, pas graves en elle-mêmes mais ressenties en profondeur. Chacun de ces échecs a été une blessure, une brisure, une confontation avec l'erreur. Et en arrière plan, je conservais en mémoire le second des Discours chrétiens de Kierkegaard, avec ses "pensées qui attaquent dans le dos". A dire vrai, c'est surtout la formule qui m'est restée: je n'ai plus guère relu Kierkegaard depuis le temps de ma maïtrise, mais cette question est en quelque sorte la survivance  de mon lien avec la philosophie. La Vérité, je ne la trouve pas dans un contenu doctrinal qui stabilise mon existence, mais dans la contradiction qui semble souvent briser celle-ci.

 

« Quand les hommes comprendront-ils qu’il est parfaitement inutile qu’ils lisent leur Bible, s’ils ne lisent pas aussi la Bible des autres ? Un imprimeur lit la Bible et y trouve des fautes d’impression. Un mormon lit la Bible et y trouve la polygamie ; un scientiste chrétien lit la Bible et y trouve que nous n’avons ni bras ni jambes. » (Chesterton, trouvé ici).

 

La Vérité, je ne l'ai pas trouvée dans une doctrine ou un système de pensée qui m'a réconcilié avec moi-même, qui m'a apaisé. Je l'ai perçue au travers de rencontres qui ont fait volé en éclat mes certitudes: avec des amis d'opinons politiques ou religieuses différentes, avec des personnes envers qui j'ai commis des torts et qui m'ont pardonné, avec des collègues issus de milieux différent, avec la parole du Christ et se s sacrements qui ont transformé peu à peu ma vie. Et enfin dans la lutte contre cette tentation: faire de ma foi une nouvelle doctrine, une nouvelle idéologie même, qui me conforte dans mon ego au lieu de le subvertir, qui me fasse juger au lieu d'écouter, qui fasse de moi un pharisien.

 

Car le diable nous secoue en tous sens, et j'ai trouvé un piège dans mes premiers temps de conversion, quand je vivais la ferveur sans éprouver l'utilité du dicernement.  Tout comme Marx relu par Trotsky relu par LO quand j'avais 18 ans, une certaine vulgate catho m'a apporté quelques temps des certitudes faciles,des convictions qui apaisaient ma raison mais endormaient ma conscience et mon sens moral. Mais c'est dans l'incertitude que Dieu se dévoile: "le sacrifice qui plait à Dieu, c'est un coeur brisé": pas seulement dans un sens sentimentaliste, mais dans l'expérience des certitudes qui se brisent, et de l'instant où tout ce qui fait la texture et l'épaisseure de notre vie s'effondre ou s'atténue, et où seule reste l'espérance d'une signification nouvelle apportée par Dieu, dans la prière, l'attente, et le service. Franchement, je l'ai réalisé le jour où j'ai dû confesser que je prenais mes distances avec certains amis métalleux car j'en avais honte, parce que leur fréquentation ne me paraissait plus correspondre à la si belle image que j'avais de ma conversion. Toutes ces années où ils étaient les seuls à m'écouter et me soutenir ne pouvaient se comparer au réconfort que m'apportait le sentiment d'être un "catholique". Et dans les semaines qui suivirent cette confession, je suis revenu au metal, car j'ai réalisé que Dieu ne m'attendait pas dans une doctrine, mais qu'il était déjà présent dans cette expérience première de l'amitié et de la confiance que ces amis m'avaient apportés. Et je devais unir ces deux vérités, le témoignage de cette amitié que je portais dans ma mémoire, et celui de toutes les Grâces que le Seigneur m'a apportées et que je découvrais dans la prière et le vie sacramentelle.

 

Et franchement et sans transition aucune, c'est là aussi tout ce que j'aime dans le black metal: il brise délibérément l'harmonie, la qualité du son, de la voix, la conception même de la Beauté, tout ce qui rassure, réconforte, et donne un support extérieur à la recherche du sens. Et en même temps, tout en détruisant consciencieusement tout ce qui fait la musique, il ne renonce pas au projet de celle-ci, et crée de nouvelles harmonies, de nouvelles formes paradoxales de Beauté. Et dans ce paradoxe, je discerne l'analogue de ma quete spirituelle de Dieu et de mon prochain: vers et par ce qui me dépayse, me fait peur, voire dans mon ennemi: dans le point où tout se brise.

Publié dans Spi

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