Les amateurs de jeux vidéos sont-ils des "crétins"?

Publié le par Manu

Cette réaction du journaliste catholique Patrice de Plunkett à une preview par Jeux vidéos.fr du jeu vidéo Dante's Inferno me parait symptômatique d'une certaine tendance croissante chez les catholiques français à voir l'agression un peu partout, au point parfois de l'inventer purement et simplement et de dresser eux-mêmes de véritables procès d'intention sur la base de malentendus purs et simples.

Ce billet, publié dans la rubrique "cathophobie" (tout un programme), parait suggérer que l'argument scénaristique du jeu (son pitch) rend la communauté du jeu vidéo doublement coupable d'illettrisme (l'adaptation effectivement très libre de La Divine Comédie) et de préjugé anti-christianisme (les catholiques de la Renaissance seraient des fanatiques obsédés par l'éradication de l'hérésie, de la manière la plus sanglante possible). De plus, l'industrie du jeu serait sans intégrité culturelle et n'aurait pas d'autre ambition que de faire le maximum de profit en nivelant par le bas le niveau d'exigence intellectuel de ses productions et en flattant  sa clientèle, par définition inculte.

Je comprends l'agacement que l'on peut ressentir face à un certaine forme de caricature du catholicisme qui est certes très présente dans les oeuvres de genre contemporaines (Le Da Vinci Code, La Boussole d'or, ...).

Mais bien que les contempteurs du jeu vidéo ne cessent de mettre en garde contre la confusion du réel et de l'imaginaire qui menacerait selon eux ses adeptes, on peut se demander à la lecture de tels billets si le même danger ne les guette pas.

Comme précisé dans la preview mise en cause, Dante's Inferno s'inscrit dans la lignée de jeux d'actions initiée par le succès des Devil may cry et des God of warDevil may cry raconte l'histoire d'un homme issu d'une lignée hybride d'humains et de démons (répondant au demeurant au nom de Dante), qui décide de combattre la branche plus obscure de sa famille pour sauver le monde. Il s'agit d'un jeu japonais, dont les références judéo-chrétiennes visent davantage à l'exotisme qu'à la critique religieuse. God of war relate le combat d'un ancien serviteur des dieux grecs, trahi par ceux-ci, qui décide de régler ses comptes avec eux en s'alliant avec les titans.

 

Dans ces deux jeux, ainsi que dans les récents émules cités par l'article (Bayonnetta qui place le joueur dans la peau d'une sorcière affrontant des "anges" assez démoniaques, et Darksiders, qui met en scène les déboires d'un cavalier de l'Apocalypse cherchant à rétablir l'équilibre entre Bien et Mal), on voit que le surnaturel a pour fonction de définir un level design cohérent, évocateur et toujours plus spectaculaire, avec une expérience de jeu assise sur des enjeux réellement stimulants (sauver le monde, affronter des dieux). En ce sens, l'industrie du jeu vidéo ne cherche pas seulement à s'enrichir sur le dos de nos chères têtes blondes (ce qui est au demeurant inévitable, de la part de n'importe quelle entreprise), mais également à renouveler le plaisir de jeu recherché par sa clientèle, ce qui est quand même le minimum de la part d'un secteur dont la finalité est le divertissement.

Il ne s'agit donc pas d'une nouvelle caricature voilée du christianisme, à la manière du Code Da Vinci: dans le choix de La Divine Comédie, on retrouve d'une part la volonté de faire référence de manière plus explicite au Dante historique, après le clin d'oeil des Devil may cry, et d'autre part, puisque le level design de ce type de jeu est centré sur l'exploration d'une succession de scènes infernales, de donner comme terrain de jeu au joueur l'une des plus célèbres et évocatrices représentations de l'Enfer. Quant à l'allure sanguinaire du Dante de ce jeu, il parait évident qu'il s'agit moins dans l'intention d'une attaque implicite du christianisme médiéval que d'une reprise des codes narratifs de God of war, qui s'attaque si peu aux catholiques qu'il a pour cadre la mythologie grecque. On peut certes critiquer les codes narratifs en question, mais en les replaçant en contexte dans l'évolution des jeux vidéos (God of war est certainement violent mais pas forcément plus superficiel ou décérébré que beaucoup de jeux très populaires, et il a vraiment su renouveler son genre), et en s'appuyant sur des données solides (pas seulement des clichés péremptoires du type: "Et d'aucuns qui applaudissent à ce genre de "loisirs" viendront s'étonner de la hausse de la violence chez les jeunes." (troisième commentaire du billet cité)). 

Le billet qui suscite ma réaction constitue donc une attaque tout à fait gratuite: M. de Plunkett tombe sur un article qui lui parait heurter sa conception du catholicisme, et le condamne sommairement, sur la base de citations qu'il présente comme des jugements sur le christianisme alors qu'il s'agit du synopsis d'une oeuvre de fiction, en le montrant du doigt comme un exemple de "cathophobie".

S'il est parfois lassant de voir le nombre de références au christianisme à contre sens qui foisonnent dans la culture populaire actuelle, il convient de garder à l'esprit d'une part que l'anachronisme ou la licence artistique peuvent parfois être parfaitement assumés et positifs, une fois replacés dans le contexte du projet qui les inspire, d'autre part que les déformations du religieux traduisent la subsistance d'un certain intérêt pour celui-ci. Et si certains amateurs de jeux vidéos ou de fantastique ont une vision stéréotypée du catholicisme comme sectaire et intolérant, je ne suis pas sûr qu'instruire le procès à charge de leur hobby hors de tout contexte et de tout effort de discernement, sans faire l'effort de les connaître et de les comprendre, en multipliant les amalgames (jeux sur la religion=jeux cathophobes) voire les erreurs factuelles (pas dans ce billet assez court mais ça arrive), les aidera à ouvrir leurs perspectives. Au contraire, ce type de réaction ne peut que les confirmer dans leurs convictions.

En ce sens, et avec tout le respect que j'ai pour M. de Plunkett dont je trouve le blog par ailleurs fort intéressant, ce billet me parait constituer une forme de contre-témoignage.

Publié dans Le geek qui vit en moi

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